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31 août 2010

Nouvelle


La main… passe !
 

Stylo Lorsque Joseph le Malchanceux inventa sa colle physiologique, ce ne fut ni pour l’amour de la science, ni pour celui de la Gloire.
En fait il avait une idée bien précise derrière la tête.

Ce n’était pas pour rien que Joseph avait été surnommé “le malchanceux”. Tout petit déjà, ses camarades de jeu se moquaient de lui et l’accablaient de leurs sarcasmes.
— Pas de veine ! Pas de veine ! hurlaient–ils dans son dos.
Ce fut pourtant le terme de “malchanceux” qui lui resta. Car, ce n’était un secret pour personne, joseph possédait, inscrite sur sa paume gauche, la plus bizarre ligne de vie qui se pût imaginer, une ligne de vie ridicule , absurde, honteuse, une ligne de vie en pointillés.

L’idée de joseph était simple: changer de main.
S’approprier, grâce à sa colle physiologique, une main comportant une ligne de vie décente.
D’un coup de serpe bien appliqué, il commença donc par s’amputer de la sienne.
Un baume de sa fabrication lui permit de stopper l’hémorragie, puis muni d’un tube de colle, il partit à la chasse aux mains.
Il faisait nuit, bien sûr.

Le premier passant que joseph aperçut dans une rue déserte, il le terrassa, lui coupa la main gauche et se la greffa sur le champ.
La malheureuse victime était encore en train de se tordre de douleur sur le bitume sale du trottoir que Joseph poussait la porte de son appartement à l’aide d’une main qui ne lui appartenait pas.

Hélas, lorsqu’il examina sa nouvelle paume à la lumière des ampoules électriques, il constata avec désespoir que la ligne de vie en était incroyablement courte.

Joseph médita toute la nuit.
À l’aube, quand il s’endormit enfin, sa résolution était prise.
Désormais il consacrerait son existence à se procurer la main recelant la plus longue vie.
Ainsi fit–il.

Il prit des allures de diseur de bonne aventure.
De cette façon il avait le loisir d’examiner la marchandise avant de s’en emparer.
Lorsque la main étudiée se révélait exceptionnelle. Il la gardait.
Il réussit très vite à obtenir une ligne de vie surprenante. Mais il n’en était pas encore satisfait.
Il voyagea. Dès qu’une ligne de vie lui semblait plus longue que la sienne, fût–ce d’une manière imperceptible, il la lui fallait.
Il en vint même, sous prétexte de chiromancie, à radiographier les lignes de vie, afin d’avoir la certitude de ne pas commettre d’erreur.
Un jour que Joseph le Malchanceux cheminait dans la campagne, une paume s’offrit à son regard. Elle appartenait à un promeneur qui se reposait dans l’herbe.
Joseph n’en crut pas ses yeux. Il n’avait jamais rêvé qu’une telle ligne de vie pût exister. Large, ample, longue, comme un fouet, superbe ! En connaisseur, Joseph l’admira longtemps.
Puis, avec une dextérité due à l’habitude, il trancha la main et procéda à l’échange. L’homme se cabra sous la souffrance. Mais il se reprit rapidement.
— Merci, balbutia–t– il, en fixant le sol.
La surprise faillit faire basculer Joseph à la renverse. C’était la première fois qu’une de ses victimes le remerciait.
— Il n’y a pas de quoi.
— Si, merci, merci beaucoup, répéta l’homme, les yeux obstinément baissés.
Joseph suivit la direction de son regard. Il aperçut comme une ligne de vie jaune qui s’enfuyait dans l’herbe.
Horrifié, il considéra sa paume ouverte. Aucune ligne n’y était inscrite. Il vit les deux marques qu’avaient laissées les crochets de la vipère.

La main passe — Roland Topor (7 janvier 1938 à Paris — 16 avril 1997 à Paris), est un illustrateur, dessinateur, peintre, écrivain, poète, metteur en scène, chansonnier, acteur et cinéaste français — Via WikiPedia !


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