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zumeurs...
19 février 2013

Le clou


Le clou… magique !
 
Belle du jour

Quand Jean-Baptiste vit la jument devant la porte de la forge, il ne fut pas surpris outre mesure. Sans doute son propriétaire voulait-il qu’on la ferrât et avait-il eu autre chose à faire que d’attendre le retour du maréchal-ferrant. Jean-Baptiste actionna le grand soufflet de forge pour relancer le feu. Il choisit soigneusement quatre nouveaux fers. Il les mit à chauffer. Il entreprit d’ôter les fers usagés.
Poser les trois premiers fers n’entraîna rien d’exceptionnel. Quand le maréchal-ferrant retira le dernier, celui de la patte arrière droite, il vit que l’un des clous était un clou... en OR ! Jean-Baptiste remplaça le fer, il y mit de bons gros clous ordinaires. La jument hennit pour remercier l’homme. Elle s’éloigna en trottinant. S’estimant assez payé de sa peine par le clou en or, le maréchal-ferrant mit celui-ci dans sa poche. Il n’y pensa plus !
Sa journée faite, le maréchal-ferrant le soir regagna son logis. La Ginette l’attendait avec d’autant plus d’impatience que depuis un bon quart d’heure elle n’avait eu personne à qui parler. La femme du forgeron, presque aussi haute et large d’épaules que lui, avec ses grosses mains rougies par l’eau du lavoir, était une brave femme, certes, et Jean-Baptiste l’aimait, mais elle était la plus bavarde des bavardes de Caissargues. Lorsqu’elle se rendait au lavoir, sa langue s’activait tout autant que ses gros bras qui lavaient, qui frappaient le linge à grands coups de battoir, qui le frictionnaient énergiquement avec le gros savon de Marseille et la brosse en chiendent, qui le lavaient de nouveau, qui le frappaient une nouvelle fois, qui le rinçaient, qui l’essoraient... Elle allait vite et bien en besogne. Pendant qu’avec les autres commères lavandières elle faisait et défaisait les réputations, répétait ce qu’elle savait, ce qu’on lui avait rapporté. Ce qu’elle ne savait pas, eh bien elle l’inventait ! Jamais fatiguée, tous les soirs elle racontait à son homme sa journée par le menu. Brodant, enjolivant, Ginette était intarissable. Jean-Baptiste soupirait, il la laissait parler, priant le ciel qu’une fois, une toute petite fois, elle eut une extinction de voix, durant une toute petite heure, ou même quelques minutes... Mais non. Hiver comme été Ginette n’était jamais malade ! Le maréchal-ferrant avait beau supplier, menacer, rien n’y faisait.
Ginette le regardait.
- Tu ne me crois pas ?
Puis elle recommençait. Ce jour-là Jean-Baptiste claqua sa main contre sa cuisse, à l’endroit où se trouvait le clou en or dans le pantalon. Il soupira.
- Pauvre de moi, je voudrais que tu te taises...
Oh miracle ! Ginette roulait de grands yeux effrayés, elle avait beau ouvrir la bouche, aucun son articulé n’en sortait... Jean-Baptiste s’étonna. Il prit tout le temps d’apprécier le silence, puis voyant sa femme malheureuse pleurant toutes les larmes de son corps, sans faire le moindre bruit, il eut pitié d’elle - je vous ai dit qu’il l’aimait. Il se dit que, peut-être, « Pauvre de moi ! » était un mot magique, que le clou en or n’était pas un clou en or ordinaire...
- Pauvre de moi, je voudrais que tu reparles !
Voilà Ginette tellement heureuse de pouvoir s’exprimer de nouveau qu’elle courut chez la voisine annoncer qu’elle avait bien failli ne plus parler du tout. Comme elle avait de la parole en retard, elle oublia l’heure du souper !
Resté seul, affamé, Jean-Baptiste résolut de se préparer à manger. Il se tapa la cuisse à l’endroit du clou magi-que, et dit.
- Pauvre de moi, je voudrais un poulet rôti !
Me croirez-vous ? Voilà qu’un succulent poulet trônait au milieu de la table. Jean-Baptiste entreprit de lui faire un sort. Il finissait le dernier morceau de blanc, quand Ginette revint ! La commère comprit que son extinction de voix n’était peut-être pas aussi naturelle que ça. Elle questionna son homme sur ce poulet-là.
À toutes ses questions, Jean-Baptiste répondait.
- Tu parles trop. Si je te disais quoi que ce soit, demain tout le village serait au courant !
Ginette eut beau promettre, jurer, pleurer, supplier. Le maréchal-ferrant restait inflexible !
La lavandière ne se tint pas pour battue. Elle se rappela que son homme parlait souvent dans son sommeil. Cette nuit-là, elle entreprit de veiller. Quand elle entendit les premiers ronflements, elle questionna le maréchal-ferrant... Jean-Baptiste parla !
Pour une fois, Ginette se dit que ce secret-là ne devait pas être ébruité. Elle en parlerait juste à Marie, sa meilleure amie, sa presque sœur. Cette dernière confia le secret de Jean-Baptiste à son autre meilleure amie. De meilleure amie en presque soeur, de voisine en vague connaissance, le lendemain soir chacun à Caissargues savait tout du secret du maréchal-ferrant... Chacun, et surtout Hector, le bouilleur de cru. Cet homme-là était laid, méchant, il n’était pas aimé, il s’amusait à faire peur aux enfants. On le disait un rien sorcier. Si on avait recours à ses services, c’est que l’alambic qu’il promenait de village en village, était le seul à vingt lieues à la ronde, qu’on aimait offrir, se voir offrir, de temps à autre, un petit verre d’eau de vie... La jument, la fameuse jument au clou en or, c’était la sienne ! Depuis sa fugue de la veille, Hector avait beau frotter son sabot arrière droit en disant.
- Pauvre de moi, je veux de l’or ! Pauvre de moi, je veux à boire ! Pauvre de moi, je veux manger !
Il ne se produisait plus rien... Voilà donc le mystère éclairci, et Hector pressé de récupérer le clou magique !
Il se dit que le mieux serait d’attendre la nuit, que le maréchal-ferrant ôtât son pantalon... Comment entrer dans la maison ? Hector eut une idée. Il se rendit devant la forge. Là, il se transforma en chemise. Il s’attendait à ce que le forgeron la ramassât. Elle était à sa taille, l’homme la poserait sans doute à côté du pantalon. Le tour serait joué ! Ce que le bouilleur de cru n’avait pas prévu, c’est que Ginette passât par là. Elle vit la chemise, elle se dit que celle-ci irait à son homme. Comme elle ignorait qui l’avait portée, elle préféra retourner au lavoir... Avec ses gros bras, Ginette lava la chemise, elle la frappa à grands coups de battoir, elle la frictionna au savon de Marseille et à la brosse en chiendent, elle la lava de nouveau, elle la frappa une nouvelle fois avec son battoir, elle la rinça abondamment, pour finir elle l’essora... La chemise disparut !
On retrouva le corps du bouilleur de cru à côté de sa jument et de son alambic. On vit bien qu’il avait été battu, noyé, frictionné jusqu’à ce qu’on l’eût écorché, qu’on lui avait brisé les os, qu’à la fin on lui avait tordu le cou. On ne sut jamais qui avait fait le coup !

Via Contes pour tous !


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