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29 août 2010

Réseaux… de transmissions


Les albatros… voyageurs !
 

Albatros Vous êtes trop jeunes pour vous rappeler ce détail, mais, dans les premiers temps que fonctionna le télégraphe électrique, la transmission des dépêches exigeait un système de deux fils, le second fil, s’imaginaient les ingénieurs, indispensable pour ramener le courant.
Ces messieurs ne furent pas longs, d’ailleurs, à s’apercevoir qu’un seul fil suffisait, la terre, expliquaient-ils gravement, remplissant l’office du second fil.
Si l’on avait prédit à ces braves gens qu’un jour viendrait, pas très lointain, où l’on n’aurait plus besoin de fil du tout pour correspondre de Cape-Cod (États-Unis) à Poldhu (Angleterre), leur voyez-vous d’ici la tête ?
C’est, à vrai dire, le krach prochain du fil télégraphique, et j’adjure ceux de mes lecteurs qui détiennent en leur portefeuille des valeurs en ce genre, de n’attendre point la dégringolade. De même — et ne voyez-vous la saisissance de ce rapport, démontrant un coup de plus que l’essence même du progrès est d’être parallèle à lui-même ? — de même, dis-je, je vous annonce pour bientôt une violente défaveur s’abattant sur les pigeons voyageurs.
Dans cinq ans, peut-être plus tôt, le pigeon voyageur vous apparaîtra plus démodé que n’est aujourd’hui le télégraphe à bras du bon vieux père Chappe.
Revenant à ses petits pois, qu’il n’aurait jamais dû quitter, le pigeon est en train d’abandonner à l’albatros sa spécialité, jusqu’à ce jour incontestée, de facteur aérien.
“À l’albatros ! ouvrez-vous de grands yeux. — À l’albatros, parfaitement, au robuste et fier oiseau, roi des mers, empereur de l’espace !”
Ah ! certes, ce ne fut pas une petite affaire que d’arriver à ce résultat. Que de patience ! Que d’ingéniosité ! Que de veilles ! Le lieutenant de vaisseau Dumas de Beaupré, qui, depuis trois ans, s’est attelé, sans défaillance, à cette tâche, m’en contait les mille péripéties avec cette bonne humeur qui est, à vrai dire, la marque de notre marine nationale.
“Quand, pour la première fois, j’émis dans l’entourage mon idée d’accroître et de perfectionner le zoo-angélisme, en substituant le superbe albatros au ridicule pigeon, ce fut un éclat de rire dont mon tympan résonne encore. “L’albatros ! ricanaient ces brutes, l’albatros !…” sans rien, d’ailleurs, ajouter de plus concluant.
— Les gens sont si bêtes ! — Moi, sans me laisser rebuter, je me mis à l’œuvre. Je me procure des œufs d’albatros, que je fais couver par de simples canards. Tant que mes volatiles sont trop jeunes pour prendre leur volée vers le large, je les laisse barboter dans leur calanque, largement approvisionnée de poissons à leur goût. Arrivés à l’époque du départ pour la vie libre et sauvage, au moment où les petits ingrats vont me tirer leur révérence, un très léger fil métallique s’insère, comme par hasard, et solidement attaché, j’en réponds, au fond de leur bec, et bon voyage, les petits amis !
— Je commence à saisir. — Le lendemain, tout penauds, éreintés, crevant de faim, qu’est-ce que je voyais revenir en mon installation ? Les évadés de la veille. Réintégration dans la volière, enlèvement du fil métallique, bombance, puis réinstallation du fil métallique et, de nouveau, le large ! Au bout de quelques jours de ce manège, mes albatros s’étaient mis en tête, et pour ne plus jamais l’oublier, cette notion que la liberté est bonne à vous faire crever de faim, cependant qu’au seul pigeonnier (conservons-lui cette appellation provisoire) réside l’alimentation copieuse et variée.
— C’est très simple… — Mais encore fallait-il y songer… J’ai donc créé d’abord des individus-albatros, ayant, tels les vieux pigeons, le goût du foyer. Couplant ensuite ces individus, j’ai déterminé une espèce, race de moins en moins libertaire, possédant de plus en plus l’instinct acquis et transmis du retour en la confortable maison.
— Et le sens de l’orientation ? — L’albatros en est naturellement loti, plus que le meilleur pigeon. Quant aux distances à parcourir, elles sont, pour ainsi dire, illimitées, tant par l’endurance, la vitesse de mes oiseaux, que par leur faculté de pouvoir, en route, se reposer, mollement bercés par le flot.”
Très gracieusement, le capitaine Dumas de Beaupré ajouta que, tout prochainement, un lâcher de ses albatros devait avoir lieu en plein océan Pacifique, et que je lui ferais plaisir si je voulais bien assister à cette expérience si intéressante pour notre défense nationale. Ce à quoi je m’engageai de la meilleure grâce du monde.

 
Alphonse Allais — À la une !


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