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zumeurs...
17 février 2011

Hareng !


Histoire… peu croyable !
 
Salon agriculture !

Je viens d’envoyer à M. le directeur du Journal des Débats ma — dûment et durement motivée — démission d’acheteur au numéro.
Cause de mon ire : la publication, en ce vespéral et grave organe, d’une histoire extraordinaire, froidement racontée comme si c’était la chose la plus naturelle du monde, histoire qui n’eût certes pas été déplacée sous la plume du folâtre Monsieur George Auriol.
Or, si j’achète les Débats, c’est pour y lire du sérieux, et vous aussi, n’est-il pas vrai, mes bons amis ?
Quand les gens graves se mettent à faire des blagues, ils ne les font pas à moitié.
Oyez plutôt :
(Je copie presque textuellement.)
« M. Henrik Dahl, de Talesund (Norvège), naturaliste distingué et fervent darwiniste, voulut suivre dans toutes ses phases l’évolution d’un être animé.
» À cet effet, il se procura un hareng pêché tout vif au fjord voisin ; il le plaça dans un aquarium dont il renouvela l’eau de mer, en diminuant, chaque jour, la quantité de liquide.
» D’abord un peu gêné, notre hareng se montra philosophe, et, ne pouvant plus se livrer à ses nautiques ébats, s’habitua peu à peu à vivre en amphibie, tantôt dans l’air, tantôt dans l’eau.
» M. Dahl poursuivit l’expérience : il vida l’aquarium.
» Le hareng parut incommodé ; mais il en prit son parti, s’accoutuma au régime sec, respira comme un terrien et s’éleva d’un degré dans l’échelle des êtres.
» Pour le récompenser, M. Dahl le tira du bocal inutile, le posa sur le sol et lui apprit à vivre ainsi que le comportait sa nouvelle dignité.
» La bête était intelligente, affectueuse, souple ; elle fit tout ce qu’on voulut.
» Elle s’accommoda de nourritures inusitées chez les poissons, mangea dans la main de ses hôtes et s’éprit pour son maître d’une amitié si vive qu’elle témoignait un chagrin véritable quand celui-ci la quittait pour se rendre à ses occupations (sic !).
» Alors, M. Dahl jugea le moment venu de franchir la seconde étape : il instruisit le docile animal à ramper comme font les serpents.
» Après quelques mois d’entraînement, le brave hareng se mouvait avec agilité : le naturaliste l’emmenait dans ses promenades et s’en faisait comme d’un caniche (resic !). »
Abrégeons et arrivons au drame :
« Un jour que M. Henrik Dahl et son hareng fidèle se promenaient dans le quartier du port, voilà qu’ils s’engagèrent sur un pont fait de planches disjointes !
» Hélas ! la malheureuse bête glissant par une fissure, tomba dans le bassin. »
… Et le Journal des Débats ajoute froidement :
« Il y a tout lieu de croire que, déshabitué de l’eau, le hareng s’est noyé. »

Alphonse Allais


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