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zumeurs...
3 août 2010

C′est les vacances !


Alphonse AllaisConte à Miné !
 
Btaeau marrant
 
La joie légitime du nautonier à l’approche du port, nous la ressentîmes quand nous découvrîmes – enfin – le phare d’Houlbec.
Mais brève, ô combien, la joie ressentie !
La Ponche [1] d’amour s’engageait à peine dans les jetées, qu’une pirogue cinglait vers nous, prompte comme la pensée, et battant, à l’arrière, pavillon jaune.
À l’avant, un brigadier des douanes, debout, la main droite levée, paume ouverte, en signe de stop, les deux autres en porte-voix autour de l’orifice buccal.
Et le gabelou clama :
– Avez-vous une patente de santé ?
– Hein ? Sursauta notre jeune capitaine Jehan des Éteules.
– Une patente de santé ?
– Pourquoi f…, une patente de santé ?
– Rapport au choléra.
– Mais nous n’avons pas le choléra à bord, bougre d’andouille !
– Il n’y a pas d’andouille là-dedans, riposta le brigadier à peine vexé ; tout bateau, avant d’entrer à Houlbec, doit faire une quarantaine de vingt-quatre heures et subir la visite de la santé.
– Ah ! C’est gai… Et à Honfleur, sont-ils aussi bêtes que vous ?
– Aussi bêtes, capitaine.
– Et à Trouville ?
– À Trouville ?
Un grand rire muet secouait la tunique du douanier.
– À Trouville ? reprit-il, le maire fait désinfecter les mouettes qui se posent sur la grève.
Voyant qu’on avait affaire à un brave bougre de gabelou, nous essayâmes de parlementer.
– Voyons, mon vieux, nous arrivons tout droit de l’île de Wight, et vous savez bien qu’il n’y a pas de choléra à l’île de Wight…
– Vous arriveriez du tonnerre de Dieu que ce serait le même prix ! C’est le maire d’Houlbec qui a décidé hier que tous les bateaux étaient contaminés, et il n’y a rien à faire contre le maire d’Houlbec. Mouillez au large. Demain matin, le médecin ira vous voir, et vous rentrerez à la marée.
Le jeune capitaine Jehan des Éteules ne chercha pas à cacher sa mauvaise humeur.
– Allez dire de ma part au maire d’Houlbec que c’est un… !
Le reste de la phrase fut emporté par la rafale.
La pauvre Ponche-d’amour vira de bord et nous allâmes à un mille du port, un peu à l’ouest, mouiller une ancre mélancolique.
Nous avions bien pensé à nous diriger vers Le Havre ou Dieppe, mais ces deux ports nous sont, pour le moment, fermés. (Histoires de femmes ? direz-vous. Peut-être bien.)
Notre seule distraction, à cet instant morose, fut de faire jouer notre pavillonnerie pour demander des vivres.
Eh bien ! Ça n’est pas si commode que ça, surtout quand on veut se procurer des choses un peu rares, et qu’on n’a pas une grande habitude.
Par exemple, on peut demander le Gil Blas du jour et se voir apporter une livre de chandelles.
Mais, à la mer comme à la mer !
Une chaloupe vint enfin, nous apportant des viandes succulentes, des légumes fraîches (sic), des tabacs rares, des gazettes parisiennes et de l’eau minérale alcaline gazeuse de (case à louer) [2].
Un temps superbe ! Moi, je me fichais un peu de ce farniente de vingt-quatre heures (j’en ai vu bien d’autres).
Mais Jehan des Éteules, lui, ne dérageait pas, et quand je lui remarquai finement : Colère Ah ! Il me traita de brute épaisse.
Heureusement, une distraction nous advint, dans l’après-midi.
Un canot se dirigeait vers nous, portant une dame en toilette claire et un grand garçon bien vêtu qui maniait l’aviron comme père et mère.
Le canot manœuvrait dans le but évident de nous accoster.
Nous constatâmes bientôt que le jeune homme bien vêtu semblait un véritable gentleman et que la dame était souhaitable entre toutes.
– Y aurait-il indiscrétion, demanda le véritable gentleman, d’aborder chez vous, madame et moi, pour quelques instants ?
– Notre bord est le vôtre, répondit Jehan des Éteules, visiblement allumé.
La Ponche-d’amour s’inclina légèrement en signe de bon accueil et prêta, de la meilleure grâce du monde, son tribord à l’ascension de ses deux nouveaux hôtes.
Le gentleman paraissait un peu gêné pour entamer la conversation, mais on sentait en lui le gentleman qui a son idée.
Il saisit l’occasion où Jehan occupait galamment sa compagne pour me dire tout bas et très vite :
– Vous avez l’air très gentils, votre ami et vous. Je vais vous demander un sacré service… Mais surtout, n’ayez l’air de rien auprès de madame.
– Ai-je donc l’air de quelque chose ? fis-je un peu froissé.
– Non, mais c’est tellement délicat.
– Raison de plus.
– Voici l’affaire : je suis amoureux comme une bête de cette petite femme que j’ai amenée et qui est l’amie d’un vieux monsieur, lequel se trouve à Houlbec. La petite ne demande pas mieux,..
– Eh bien, alors ?
– Oui, mais le vieux est toujours là. C’est à peine s’il lui permet un petit tour en bateau avec moi, à la portée de ses regards jaloux… J’ai appris hier l’arrêté du maire d’Houlbec, relatif à la quarantaine des bateaux. Saisissez-vous ?
– Pas encore.
– C’est pourtant bien simple. Maintenant que nous avons touché votre bord, nous sommes contaminés, ou tout au moins considérés comme tels. Tout à l’heure, quand je vais faire semblant de rentrer dans le port, un impitoyable gabelou va m’en barrer la route. Alors, nous reviendrons, madame et moi, faire notre petite quarantaine à votre bord, jusqu’à demain.
– Vous appelez ça une quarantaine, vous ?
– Ne m’en veuillez pas trop de mon indiscrétion.
– Et vous prenez la Ponche-d’amour pour un bateau de fleurs ?
– Soyez certain, monsieur…
– Et si le bonhomme de la dame vient déranger cette combinaison ?
– Oh ! Rien à craindre de ce côté-là, il a trop peur de l’eau.

Les choses se passèrent comme l’avait prévu l’ardent jeune homme : fausse rentrée au port, pavillon jaune de la santé, et réintégration àbord de la Ponche.
On dîna gaiement ce soir-là, mais la nuit fut mauvaise pour le galant capitaine Jehan des Éteules.
Il vint au tout petit jour me réveiller, dans ma cabine.
– Tu ne sais pas ? dit-il, j’ai envie de… le type à l’eau ?

[1] La Ponche était le surnom amical donné à Raoul Ponchon.
[2] Pour la publicité, s’adresser directement à l’auteur.

Alphonse Allais — Faits divers !


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