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zumeurs...
4 mars 2010

Courte nouvelle


Rencontre fugace dans… une ville polluée !

TransportsAprès des successions d’avenues toutes semblables dans leur laideur, j’avais l’impression de rouler depuis une éternité dans ce bus bondé accablé par la chaleur. En guise de bouée d’oxygène, je cherchais dehors quelque chose à voir. Mais à part les divers véhicules à moteur, ce n’était que des immeubles de différentes tailles, en fonction ou en construction.
Abruti de bruits et de mouvements, j’étais trop fatigué pour avoir encore la faculté de rêver, d’autant que les vapeurs d’essence, les cris des klaxons me ramenaient sans cesse à la réalité. Alors, mes yeux erraient pour s’occuper sur les humains croisés à pied ou embarqués, juste pour ne pas étouffer, vaguement à la recherche d’une belle silhouette, d’une figure originale.

Heureusement, la langue locale m’était totalement incompréhensible, et les publicités omniprésentes devenaient pour moi des sortes de décorations artistiques au lieu des habituelles débilités agressives.
A chaque arrêt, les nouveaux passagers me servaient de distraction quelques instants, mais au bout d’un moment, ils se ressemblaient tous.
Régulièrement, les bouchons et ralentissements revenaient, par vagues mécaniques, noyer le bus dans le flux de voitures qui le cernait de toutes parts. Je commençais à avoir mal à la gorge, sans doute un début d’asphyxie dû à la pollution riche en particules des plus cancérigènes.
Comment peut-on vivre ça tous les jours alors que je suis déjà mort au bout de quelques heures ? Je ne dois pas être très résistant, trop habitué à l’air des campagnes…
Les vitesses craquaient à chaque redémarrage et la sueur coulait sur mes doigts attachés à la poignée de sécurité. Parfois, venues de nulle part, des bouffées d’air frais traversaient le bus au milieu de la fournaise, mais le gasoil et la moiteur reprenaient vite le dessus.

Mes yeux en perdition ont été soudain attirés par une beauté immobile plantée à la fenêtre d’un bus voisin. Elle était figée dans un regard fixe et noir perdu dans le monde vide alentour. Son corps était légèrement penché en avant, vers le carreau de verre sale, comme prostré dans une prière sans mots et sans objet. Elle semblait effrayée par ce monde, écrasée par ce qu’elle voyait et ressentait, pétrifiée par la ville géante où elle n’est qu’un pion parmi d’autres, corvéable et jetable à merci.
Livrée à ce grand monstre aveugle, elle était résignée, sans espoir, elle attendait sans bouger qu’une griffe vienne la prendre. Son regard terrifié, comme mort, était déjà ailleurs, loin de cette pauvre survie monotone. Elle ne voyait plus rien, elle en avait déjà trop vu.

Dans les aléas de la circulation en accordéon, son bus et sa fenêtre se sont éloignés derrière un écran de fumées. Elle était perdue à jamais. Un moment plus tard, elle est pourtant revenue flotter à ma hauteur dans un souffle de moteurs. Dans ma tête, je ne savais quoi, de la joie ou la peur, l’emportait. Comme un tableau, elle n’avait pas bougé d’un cil, infiniment plus parlante que n’importe quel délire abstrait sur toile.
Elle portait toute la douleur du monde, je n’osais pas trop la regarder dans les yeux car je connais trop ce reflet de l’enfer, et je ne voulais pas brûler davantage. De toute façon, qu’aurais-je pu lui dire, qu’aurais-je pu faire, quelques secondes derrière ma propre vitre ?

Son bus a pris de l’avance à nouveau, mon cœur battait en guettant les feux et les prochains arrêts, mais elle a disparu pour de bon dans la marée noire urbaine.
Je ne suis même pas descendu pour courir comme un fou derrière elle et lui dire “je t’aime”.

Via art-engagé !


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Commentaires
N
Je suis entree chez vous par hasard,mais je comprends bcp de cet article!
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